Lettre ouverte aux catholiques qui seraient tentés de voter pour la candidate d’extrême-droite

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Aux catholiques qui seraient tentés de voter pour la candidate d’extrême droite


Quelques jours avant le second tour de l’élection présidentielle, alors que la candidate du Rassemblement national n’a jamais été aussi proche des portes du pouvoir, plusieurs études révèlent que 40 % des catholiques ont voté au premier tour pour l’un des trois candidats d’extrême droite. En tant que catholiques, ce chiffre nous bouleverse. C’est pourquoi nous avons décidé de vous adresser, frères et sœurs dans la foi, cette lettre ouverte, qui se veut à la fois franche et fraternelle.


Nous ne connaissons pas toutes les raisons pour lesquelles vous avez choisi de soutenir des candidats dont les programmes sont en totale contradiction avec la pensée sociale de l’Église. Nous pouvons deviner : insécurité religieuse et culturelle, inquiétude face à une société en mutation, défense des valeurs traditionnelles, perte de certains repères, défiance envers l’islam, etc. Quelles que soient les motivations ou les peurs qui vous animent, nous vous savons sincères et nous croyons en votre bonne foi. Mais nous croyons aussi que vous vous trompez de chemin.


Réalisez-vous vraiment combien la philosophie politique de l’extrême droite, sa vision de l’homme et sa vision du monde sont en contradiction avec l’esprit de l’Évangile ? Engagés à différents titres dans l’Église catholique, nous l’affirmons : les principes fondamentaux de l’extrême droite sont incompatibles avec la foi chrétienne. La préférence nationale, le refus d’accueillir l’étranger, le repli identitaire, la peur d’un supposé « grand remplacement », la défense d’une « civilisation chrétienne » sont aux antipodes du message et de la vie du Christ.


Notre interpellation se veut morale et spirituelle. On peut discuter à l’infini des programmes des deux candidats en lice pour le second tour. Ce n’est pas ici notre propos. Nous voulons rester sur les fondamentaux. L’intolérable ne peut être toléré. C’est l’une des tâches des chrétiens que de donner du courage et de l’espérance aux gens, de proposer aux plus jeunes et à tous nos concitoyens des convictions solides, des références fortes, afin qu’ils n’agissent pas sous l’emprise de la peur ou de l’illusion.


Défendant une soi-disant pureté nationale, ethnique ou religieuse, l’extrême droite, de Zemmour à Le Pen, aime trier, hiérarchiser et opposer les individus : les Blancs contre les Noirs ; les Européens contre les Arabes ; les chrétiens contre les musulmans ; les bons pauvres – les « nôtres » – contre les mauvais – les « migrants » – ; les bons journalistes contre les mauvais ; les Français de souche contre ceux d’origine étrangère. Le « tri » a toujours été un projet de l’extrême droite. Cela porte un nom : discrimination. Une attitude bien éloignée de celle du Christ.


Plus grave encore, le RN fait passer son idéologie avant les personnes concrètes. C’est le cas, par exemple, pour les enfants des familles de migrants, que Marine Le Pen, si elle devait accéder au pouvoir, n’inscrirait pas dans les écoles de la République et renverrait « chez eux », sans aucun état d’âme. Aucun disciple du Christ ne peut accepter cela. Être chrétien, c’est défendre l’humanité concrète, l’humanité de l’homme. Jésus n’a d’ailleurs jamais défendu l’ordre établi. Jugé comme perturbateur et comme blasphémateur, il en a même été l’une des victimes.


L’extrême droite a une obsession : exclure les « immigrés », jugés responsables de tous les maux. Plus largement, elle se méfie des jeunes des quartiers populaires et veut instituer un délire sécuritaire qui ne ferait que renforcer les haines, les incompréhensions et les difficultés à vivre ensemble. En jouant principalement sur la peur des autres, cette idéologie conduirait inéluctablement à la division de la société française et aggraverait l’exclusion sociale.


Le christianisme prend le pari d’accueillir l’être humain, quelles que soient sa condition, ses origines, sa religion ou sa situation administrative, dans une démarche de fraternité. On ne peut être catholique, c’est-à-dire « universel », et être en même temps xénophobe, c’est-à-dire avoir peur des étrangers. « Dieu ne fait pas de différence entre les hommes. » (Actes des Apôtres 10, 34.)


Jésus a passé son temps à tisser des liens, à abattre les murs des préjugés, à rencontrer ses contemporains sans exclusive et sans a priori : le centurion romain, la Samaritaine, la femme adultère, le collecteur d’impôt, l’aveugle, le sourd, l’estropié et même le lépreux, banni parmi les bannis. En ce sens, il contribue à nous montrer un chemin où la relation avec l’autre, dans le respect de son altérité, est première. Jésus nous explique comment rompre le cercle vicieux de la méfiance et de la défiance. Un cercle vicieux qui conduit à l’affrontement et à la guerre. La main tendue, la compréhension, le dialogue sont les « armes » de l’arsenal chrétien.


L’Évangile n’est évidemment pas un programme politique. Cependant, il propose des directions, des exigences éthiques, il indique des attitudes – celles du Christ – qui se traduisent dans le comportement individuel, mais aussi dans la vie sociale. La fraternité universelle n’est pas négociable, surtout quand il s’agit des plus vulnérables. Vouloir séparer, comme l’a parfois suggéré Marine Le Pen, charité individuelle et charité collective, charité morale et charité politique est une attitude schizophrénique qui n’a pas de sens. Pour un chrétien, l’action politique est forcément en cohérence avec l’engagement personnel.


À l’heure où, sous toutes les latitudes, les sociétés dépendent vitalement les unes des autres, le monde est devenu notre village commun. Ces mutations peuvent provoquer de l’inquiétude. Mais le Dieu de Jésus-Christ nous invite à ne pas avoir peur du lendemain – « Il nous précède en Galilée » (Marc 16, 7) – et à créer un monde de paix et de compréhension mutuelle. Un monde où il ne s’agit plus de se battre les uns contre les autres, mais de prendre soin ensemble de notre maison commune, dans le dialogue et la coopération. En restant enracinés dans la foi, c’est-à-dire dans la confiance.


Premiers signataires :


Anne-Marie Aitken, xavière.


Guy Aurenche, avocat honoraire, militant des droits de l’homme.


Christian Delorme, prêtre du diocèse de Lyon.


Laurent Grzybowski, journaliste et liturge, militant du dialogue interreligieux.


Anne Guillard, docteure en science politique et en théologie.


Monique Hébrard, journaliste, autrice.


Christine Pedotti, directrice de Témoignage chrétien.


Jean-Pierre Rosa, éditeur, auteur, ancien délégué général des Semaines sociales de France.


Gérard Testard, responsable associatif.

Mobilisation créée par Pedotti
19/4/2022

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