LE CONSEIL DES MÈRES DU 2 MAi 2014
ASSOCIATION PUBLIQUE DES VICTIMES DE LA VIOLENCE À ODESSA
APPEL POUR UNE ENQUÊTE INDÉPENDANTE ET IMPARTIALE
DES NATIONS UNIES
Nous, les mères, les pères, les frères et surs, les proches et les amis des victimes des violences du 2 mai 2014 à Odessa, ainsi que les habitants de la ville qui soutiennent le retour à lÉtat de droit et notre demande de justice, tournons nos espoirs vers le Bureau du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de lhomme pour que soit nommé un groupe dexperts internationaux afin dentreprendre une enquête indépendante, impartiale, objective et crédible sur la tragédie qui a causé la mort dau moins 48 habitants, et probablement davantage.
Le 2 mai 2014 : violences à Odessa
Le 2 mai 2014, des partisans des autorités de Kiev représentés par différentes organisations extrémistes qui ont soutenu le violent changement de gouvernement, et des partisans de la fédéralisation, qui permettrait à lUkraine de maintenir son intégrité, sont entrés en conflit dans les rues dOdessa. Ces affrontements ont causé six morts et beaucoup de blessés. Des six morts, deux étaient des soutiens du gouvernement et quatre des partisans de la fédéralisation. Plus tard dans la journée, une foule agressive sest dirigée vers le parc Kulikovo quoccupaient depuis plusieurs semaines les militants « pro-fédéralisation ». Les assaillants brulèrent le camp et attaquèrent les militants à coups de battes de baseball, de chaînes en fer et même à larme à feu. Les militants se sont précipités vers la Maison des Syndicats pour sy réfugier. Les assaillants y ont mis le feu. Plusieurs douzaines de personnes sy trouvèrent piégées. Certains ont été brûlés vifs, dautres sont morts étouffés par les flammes. Dans les parties du bâtiment qui ne brûlaient pas, les assaillants ont poursuivi les militants, les battant ou les tirant dehors pour les battre. Pour échapper aux flammes, des assiégés ont sauté par les fenêtres des étages. Une fois au sol, ils ont été battus, parfois à mort. Dautres ont trouvé refuge sur le toit du bâtiment doù ils furent secourus.
Selon la version officielle, 48 personnes sont mortes : 6 dans les affrontements de rue et 42 au parc Kulikovo. Deux des victimes étaient des manifestants pro-gouvernementaux. Les 46 autres étaient des partisans de la fédéralisation.
Les survivants furent grièvement blessés, beaucoup dentre eux ont été conduits à lhôpital. Certains y sont morts à la suite de leurs blessures - lun deux il y a à peine 6 mois. Dautres ont été retirés des hôpitaux par leurs familles effrayées à lidée quils se fassent tuer. On ignore malheureusement le nombre exact de morts et de disparus; seule linformation officielle et accessible indique que 48 personnes sont mortes.
Ces actions violentes sont sans précédent dans lhistoire récente dOdessa. Ce qui sest passé a horrifié la ville entière qui avait traditionnellement été un havre de diversité, pétri dune mosaïque de peuples, de cultures, de religions et de langues.
Ces événements se sont déroulés sous les yeux de la police qui nest pas intervenue prétextant quelle navait pas reçu « dordre ». La brigade des pompiers, située tout près, a été appelée sans cesse à laide, mais a mis 45 minutes pour intervenir. Certains de ces événements, en particulier la violence au parc Kulikovo, ont été partiellement observés par la mission de surveillance des droits de lhomme des Nations Unies en Ukraine.
La police est finalement intervenue pour évacuer les survivants du bâtiment en flammes, mais, curieusement, pour les emprisonner. Une partie dentre eux ont été relâchés le lendemain, sous la pression des habitants dOdessa qui ont protesté contre leur détention. Environ 60 autres partisans « pro-fédéralistes », arrêtés dans le centre ville, ont été emmenés loin dOdessa et emprisonnés dans dautres villes. Vingt des manifestants arrêtés le 2 mai 2014 attendent leur procès à Odessa : cinq sont en prison, quinze autres en résidence surveillée. Ils sont tous des militants « pro-fédéralistes ». Ils sont tous accusés de « troubles à lordre public » (code pénal, section 294) au lieu dêtre inculpés dinfractions précises sur la base dactes individuels qui leur seraient imputés. Les actes daccusation ont été coupés-collés à partir dun même modèle.
Aucun des partisans « pro-gouvernementaux », responsables de lorganisation de la violence et des meurtres commis, na été puni. Tous les agresseurs sont en liberté (trois furent initialement arrêtés mais 2 dentre eux ont été relâchés et le 3e est mort en détention de tuberculose). Un seul dentre eux est soumis à une enquête pour meurtre, mais reste libre et participe régulièrement à des événements publics.
Enquêtes sur les violences du 2 mai
Les enquêtes officielles nont jusquà présent mené à rien. Il ny a pas de preuves contre les personnes détenues. Dinnombrables violations des droits des prévenus et de la procédure ont été observées. Les tribunaux dOdessa ont été envahis à plusieurs reprises par des militants extrémistes qui ont menacé les juges, les avocats de la défense et les familles des victimes, et les ont agressés jusque dans les salles daudience. Ils ont interrompu les audiences et, dans plusieurs cas, forcé les juges à se récuser sous la menace dhommes armés et cagoulés. Des documents sur lesquels sappuient les procès auraient été fabriqués.
Deux ans après le 2 mai 2014, les victimes et leurs familles attendent toujours la vérité et la justice. Des cinq enquêtes diligentées par les autorités (par le Procureur général, par le ministère de lIntérieur, par le Parlement, par le défenseur des droits, ainsi que par la préfecture de Police dOdessa) aucune na abouti à des résultats tangibles. Personne na été puni pour aucun des meurtres, des blessures et des cas possibles de disparitions. Même le Groupe associatif dit « du 2 mai », qui prétend avoir mené une enquête indépendante, et dont les conclusions sont fort discutables, ont exprimé de sérieuses réserves quant à la volonté politique des autorités denquêter effectivement sur ces événements tragiques. Ils viennent récemment de déclarer que les enquêtes ont été délibérément sabotées au plus haut niveau du ministère de lIntérieur.[1] Le Conseil de lEurope, qui, en accord avec les autorités, a mené une évaluation indépendante des enquêtes entreprises a conclu à labsence de volonté des autorités de traduire en justice les responsables de la tuerie dOdessa.[2]
Le Conseil des mères partage les conclusions du Conseil de lEurope[3], du Rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires[4], et de lAssistant du Secrétaire général des Nations unies aux droits de lhomme, au sujet de « labsence de progrès des enquêtes et des procédures judiciaires sur les tueries [de Maïdan], du 2 mai 2014 à Odessa et du 9 mai 2014 à Marioupol. La lenteur du progrès dans ces cas sape la confiance du public à légard du système judiciaire. Il est essentiel que ces questions soit traitées rapidement et avec impartialité ». [5]
Le Conseil des mères partage également le constat de ces représentants du Conseil européen et des Nations unies selon lequel « il est impossible de panser les blessures profondes causées par ces événements tragiques, en particulier dans les conditions politiques actuelles. Comme le conclut le Conseil de lEurope dans son rapport sur les violence de la place Maïdan : « Une partie importante de tout processus de guérison passe par une enquête efficace et indépendante sur ces actes de violence. Il est de notoriété publique quil y a un manque évident de confiance de la population en Ukraine vis-à-vis de ces enquêtes. Au contraire, la perception est générale que les forces de l'ordre jouissent dune totale impunité et que les autorités chargées de mener lenquête nont pas la volonté, ou savèrent incapables, de traduire en justice les responsables des morts et des blessés ». Comme il est indiqué dans le rapport, cette perception a été mise en évidence à plusieurs occasions par divers organes du Conseil de l'Europe dans le passé. Le rapport observe en outre que « l'impunité doit être combattue comme étant une question de justice pour les victimes, un moyen de dissuasion pour empêcher de nouvelles violations, et afin de faire respecter la primauté du droit et la confiance du public dans le système de justice ». [6] Malheureusement, le Conseil de lEurope a abouti à des conclusions tout à fait similaires en ce qui concerne les enquêtes entreprises sur les violences du 2 mai à Odessa. [7] Deux ans après ces violences, personne na été jugé pour les crimes commis et il ny a aucune raison de croire que quiconque le sera.
Appel du Conseil des mères du 2 mai
En tant que citoyens dUkraine, nous pensons que la justice doit être rendue aux Ukrainiens par les autorités ukrainiennes.
Cependant, vue labsence de progrès dans toutes les enquêtes officielles menées jusquà maintenant et le fait quaucune indication ne montre que ces enquêtes vont établir la vérité et rendre la justice, nous navons dautre choix que de nous tourner vers les Nations unies, en tant quautorité indépendante et crédible, afin que soit menée une enquête efficace sur ces crimes. Nous espérons que de telles procédures entreprises sous légide des Nations unies permettront aux autorités ukrainiennes de renouveler leurs efforts afin de rendre aux victimes et à leurs familles la justice promise et tant attendue ce qui était une des principales revendications et promesses de Maïdan - et les encourageront ainsi à mener les enquêtes nécessaires afin de punir les véritables coupables, quils soient les organisateurs ou les auteurs, de cette tragédie.
[1] Voir « Clear signs of sabotage » in Odessa 2 May investigation, sur: http://ukrainesolidaritycampaign.org/2016/02/05/clear-signs-of-sabotage-in-odessa-2-may-investigation/, et http://2maygroup.blogspot.com/
[2] https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=090000168048851b
[3] Àla requête des autorités ukrainiennes, le Conseil de lEurope a constitué un groupe consultatif pour évaluer les progrès réalisés dans les enquêtes sur Maïdan et Odessa. Les deux différents rapports ont été rendus publics le 15 avril 2015 (Maïdan) et le 4 novembre 2015 (Odessa), et sont accessibles sur: https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=09000016802f038b and https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=090000168048851b
[4] Voir la déclaration complète sur : http://www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=16460&LangID=E
[5] Voir la déclaration complète sur : http://www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=18534&LangID=E
[6] Voir Council of Europe: Report of the International Advisory Panel on its review of the Maïdan investigations, 31 March 2015, paragraphe 536, page 94 (Concluding remarks) : https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=09000016802f038b
[7] Paragraphes 281, page 64, et 295-296, page 67, Council of Europes assessment report of the 2 May violence in Odessa (https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=090000168048851b).