Nous demandons donc au gouvernement de mettre en place une politique pour généraliser la classe dehors, relancer les classes découverte et les colonies de vacances et que dès la petite enfance, les enfants soit en contact quotidien avec la nature. Nous demandons aussi à toutes les mairies, que soient mis à disposition des lieux propices qui le permettent.
Texte intégral de la tribune du Monde :
"Nous, parents, grands-parents et amis des enfants, en avons assez de voir les enfants enfermés à longueur de journée. Nous voulons féliciter et remercier tous les acteurs de l’éducation – enseignantes et enseignants, et avec eux les animatrices et animateurs – qui accompagnent nos enfants et adolescents dehors. Ils déploient leur mission éducatrice également hors des murs de leur classe et nous leur faisons confiance.
Enseignants pionniers : nous sommes vos alliés. Sachez qu’il y a aujourd’hui dans chaque quartier, chaque école, des habitantes et habitants qui souhaitent voir les enfants sortir, aussi bien durant le temps de l’école qu’après la classe. Aussi sommes-nous prêts à vous accompagner dehors, à rassurer d’autres parents qui pourraient être encore hésitants. Nous savons qu’un enfant dans les bois ne perd jamais son temps. Au contraire, sortir à l’extérieur, a fortiori en nature, une demi-journée par semaine est fondamental pour la santé mentale et physique des plus jeunes. Il s’agit aussi d’un enjeu de société : la nature est essentielle à la bonne santé de tous et au plein développement des enfants.
Aujourd’hui, en moyenne, un enfant de 9 ans a de moins bonnes capacités physiques qu’une personne active de 65 ans. En cause, une vie qui manque d’activités physiques (pas assez en mouvement) et trop de sédentarité (trop assis dans la journée). L’Institut de veille sanitaire alertait déjà en 2016 : il faut encourager les enfants à jouer davantage dehors, pour lutter contre ce problème de santé publique majeur.
Cela ne s’est pas arrangé. En 2017, deux jeunes sur trois présentaient un risque sanitaire préoccupant : chaque jour, ils dépassent largement les deux heures de temps d’écran et font moins de 60 minutes d’activité physique. Cette situation s’est encore dégradée depuis, notamment avec les confinements à répétition et l’explosion du temps d’écran.
Trop d’adultes sont persuadés que les garder à l’intérieur est plus sûr. Mais, sans enjoliver le passé, n’avons-nous pas, enfants, engrangé d’incroyables souvenirs de vie au grand air, dans les forêts, au bord des rivières et dans les espaces de verdure en ville ? N’avons-nous pas observé la mue du printemps, respiré le parfum des lilas en fleurs, fait des cabanes, grimpé aux arbres, cueilli des mûres, entendu le coucou et joué avec des bâtons ? Nous avons pu jouer de nombreuses heures dehors, avec d’autres enfants, avec notre enseignant, en classe découverte ou en colonie de vacances… Pendant ces temps, nous avons aussi appris à nouer des liens dans l’action, avec les autres. A faire ensemble. Et être en lien avec le vivant.
Tout cela est connu et prouvé : les temps réguliers et le jeu libre en nature ont des effets bénéfiques sur la santé physique et mentale des enfants tout en stimulant les apprentissages et éveillant chacune et chacun à la conscience environnementale.
Dorénavant, et c’est tant mieux, ces enseignants du dehors sont de plus en plus nombreux : en 2023, ils étaient une centaine à Rennes, 191 à Paris. Dans l’académie de Poitiers, dans 20 % des écoles, on compte des enseignants qui font classe dehors. S’il n’existe pas encore de statistiques nationales, dans chaque académie, la classe dehors se répand et des enseignants se forment, grâce aux associations d’éducation à l’environnement, de protection de la nature, d’éducation populaire, et au sein de l’éducation nationale.
Lors de la Semaine francophone de la classe dehors fin mai, dans 1 900 établissements scolaires en France et dans une vingtaine de pays, des élèves ont fait classe dehors, accompagnés par leur enseignant. Pour près de la moitié des inscrits, ce sera la première fois qu’ils vivront cette expérience.
Peut-être que, pour la première fois aussi, certains enfants marcheront pieds nus dans l’herbe et pourront apprécier la sensation de toucher le sol sans chaussures. Dans la classe dehors, ce sont tous les sens qui sont mobilisés : l’ouïe, le goût, l’odorat, la vue, le toucher et le sens kinesthésique (celui du mouvement) participent à la découverte de la nature, au développement de l’attention et de la curiosité. Seul le dehors permet cette éducation sensible.
Malgré ses bienfaits, cette pratique pédagogique demeure anecdotique dans l’institution scolaire. Celles et ceux qui pratiquent se forment souvent sur leur temps libre. Beaucoup d’autres aimeraient se lancer mais n’osent pas face aux obstacles de la hiérarchie, aux contraintes administratives et logistiques, au manque de financement et de formation, et parfois à des parents réfractaires. Ce n’est pas qu’ils ne veulent pas, c’est qu’ils ne peuvent pas. Nous voulons donc aussi signifier aux pouvoirs publics que nous avons besoin d’une politique ambitieuse en ce domaine. De nombreux pays le font, qu’attendons-nous ? Il est temps de faire de l’accès régulier au dehors une grande cause nationale.
Le gouvernement – ministères de l’éducation nationale, de la santé, de la transition écologique… – doit encourager les acteurs et actrices de l’éducation qui veulent accompagner nos enfants dehors : soutenir la généralisation de la classe dehors, relancer les classes découverte et les colonies de vacances et que, dès la petite enfance, les enfants soient en contact quotidien avec la nature.
Nous demandons à toutes les mairies que soient mis à disposition des lieux propices pour que les enfants puissent se connecter à la nature. On a bien créé des terrains de sport, on peut maintenant aussi créer des forêts éducatives, même en ville. L’équivalent d’un petit quart de terrain de foot peut déjà changer la donne.
Nous rappelons enfin que la Convention internationale des droits de l’enfant reconnaît l’importance du jeu, des « activités ludiques et récréatives », qui sont « essentielles à la santé et au bien-être des enfants et favorisent la créativité, l’imagination, la confiance en soi, le sentiment d’être à la hauteur, ainsi que la force et les compétences physiques, sociales, cognitives et émotionnelles ». En conséquence, ils « doivent disposer de temps et d’espace pour eux, sans obligations, divertissements ou stimuli, qu’ils puissent occuper comme bon leur semble ».
Nous voulons que leurs droits et besoins fondamentaux soient respectés. Il est temps de permettre à nos enfants de grandir en lien avec la nature pour être pleinement en vie. On ne devient vivant qu’au contact du vivant."
Premiers signataires :
- Laelia Benoit est pédopsychiatre et sociologue à l’université Yale et à l’Inserm ;
- Dimitri de Boissieu est éducateur à l’environnement et membre de la Dynamique Sortir !
- Dorothée Boulogne est présidente des Ceméa ;
- Martine Duclos est professeure des universités et praticienne hospitalière au CHU de Clermont-Ferrand et à l’université Clermont-Auvergne, et coprésidente de la chaire santé en mouvement de l’Onaps ;
- Grégoire Ensel est président national de la FCPE ;
- Moïna Fauchier-Delavigne est autrice et porte-parole de l’association la Fabrique des communs pédagogiques ;
- Hélène Lacassagne est présidente de la Ligue de l’enseignement ;
- Benjamin Gentils est cofondateur de la Fabrique des communs pédagogiques ;
- Roland Gérard est poète et membre du conseil collégial de la Fabrique des communs pédagogiques ;
- Liliane Huguet est coprésidente de l’ONG Défense des enfants international – France ;
- Gwenaël Le Guével est président de l’association CRAP – Cahiers pédagogiques ;
- Thierry Paquot, philosophe
- Nathanaël Wallenhorst est professeur d’université et doyen de la faculté d’éducation de l’Université catholique de l’Ouest ;
- Theodore Zeldin est historien, sociologue et philosophe.
Voici le lien de la tribune d'origine publiée le 21 mai 2024.
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